dimanche 24 février 2013

Among Them Part.3





Chapitre 5 : Esprits en devenir

 



J’aime et je déteste la mer.
Être face à la mer me procure un bonheur immense, l’eau, élément créant et gardant la vie. Aucun être humain ne peut rester insensible face à une telle force. Procurant tantôt la joie, tantôt la peine, immenses jubilations, immenses tristesses ; un peu comme ce qui se passait en moi.
Face à l’immensité de l’océan, l’on ne peut que se sentir petit, pas uniquement pour son gigantisme, non. Mais aussi pour ce qu’il représente, ce qu’il fait. L’océan a ce don, d’aplanir, de rendre lisse, les aspérités de la Terre. Si vous ne comprenez pas ce que je dis, placez-vous face à la mer, portez votre regard aussi loin qu’il le puisse et, voyez. Voyez au loin, les vagues aussi nombreuses peuvent-elles être, vous ne les remarquez qu’à peine. Elles lissent le paysage, car imaginez ce qu’il y a en-dessous de ces tonnes d’eau, des gouffres, des piques, des récifs…
J’aurais voulu m’y noyer, me faire submerger par cet élément, effacer ce qui se passait en moi, gommer les choses malsaines qui m’habitaient. En fait ce que je voulais vraiment, c’était me voir disparaître, moi mais pas seulement, tout ce qui se trouvait en moi. Je me détestais, je haïssais ce que je devenais petit à petit.
Parfois, j’arrivais à me regarder dans une glace sans ciller, mais ces instants s’amenuisaient comme la neige fondant en plein soleil.
Ma vie s’effaçait, c’était le terrible constat que je devais implacablement m’imposer, car ce n’était que la triste vérité… J'aimerai ne pas m’y résoudre, mais je n’y pouvais rien, mon avenir tracé dans du sable s’effaçait, comme si les vagues de l’océan du Temps, s’amusaient à les gratter pour en poinçonner en discontinu un nouveau… Ma vue semblait me jouer des tours, j’avais cette impression que les traits de mon visage se changeaient, mutaient en quelques choses que je n’arrivais pas à distinguer ; comme la buée sur un miroir rend les choses indécises. Ma vue flouait mes yeux, et mon esprit, ma vie entière, mon devenir…

Je voulais en finir avec cette vie qui ne m’appartenait plus vraiment, mais, une lâcheté sans doute, m’en dissuada. Et, par habitude, j’ai pris ce chemin d’incertitudes…

*

Quelques jours plus tard, Denis était revenu au lycée, mais étrangement, il faisait profil bas avec moi, et presque plus bizarre, les trajets en bus se faisaient calmement. Je devenais serein, plus rien, ou si peu, me stressait.
Je me suis excusé de multiples fois auprès de Prysc par rapport à l’appel manqué. Mes genoux étaient en sang lorsqu’elle accepta enfin de m’excuser. J’ai pansé mes plaies, tandis que nous nous engagions ensemble pour le projet du journal. Tout s’embrancher pour le mieux. Je n’ai bien entendu pas demandé à Sovan s’il avait une piste concernant les mystérieuses attaques. Cependant, j’ai menti à Pryscilla, je lui expliquai qu’il fallait sans doute, histoire de sortir du lot, faire quelque chose de démentiel. Au lieu d’être comme tous les scribouillards qui participeront au concours, qui se contenteront de décrire les faits, rien que les faits, quoi de plus banal… Alors nous y iront plus loin, nous partiront de faits réels, mais nous extrapoleront, ce qui, je l’espère, sera fort excitant, mais nous permettra peut-être de dévoiler ce que nous écrivons ensemble, et là, je le promets sur tout ce qui m’est cher, elle a ajouté à ce que tu as déjà rédigé en solo qui est génial. J’ai compris à cet instant qu’elle avait bien accepté mes excuses, que ce n’était pas des paroles en l’air, juste pour faire son concours.
Alors que je recouvrai l’espoir en moi, en ma vie, en un possible avenir, il m’arrivait plus que de raison de ressentir une colère si soudaine et profonde que j’en frémissais moi-même. Généralement, et cela ne surprendra personne, que c’est lorsque j’étais en présence de Denis et de ses acolytes… Mais je m’efforçais de rester zen, j’avais déjà "pété les plombs" une fois, une part de moi ne voulait plus que ça se reproduise.
Le Temps devenait pour moi personnellement, un ennemi. Actuellement j’étais encore libre de l’usage de mon corps, mais je sentais se profiler à l’horizon une ombre malsaine qui serait pour moi plus que le fait que mon corps soit une prison, c’était plus comme un bourreau. Alors le temps qui me restait à être ainsi libre, j’essayais d’en profiter.

Les jours s’écoulaient quasi tranquillement, Prysc accepta finalement mon idée de faire dans le fantasque, ce qui m’arrangea plus que bien, car je n’avais pas trop envie d’être réaliste et objectif.
Les frères Mendez trouvaient à mes yeux de nouvelles qualités, ma sympathie pour eux ne cessait de croître au fur et à mesure du temps que je passais avec eux. D’un autre côté, je ne suis pas certain que mon amitié  avec les deux frères soit totalement innocente. En effet, en dehors du lycée, je ne voyais pas grand monde, donc, de cause à effet, je me laissai enfermer dans ce monde, et frôlai, je crois, le syndrome de Stockholm. Cependant, il est vrai que l’on rigolait bien avec Sovan et Michel ; rien n’était forcé, c’était naturel. Ils ne me poussaient pas non plus pour libérer l’esprit de Torvin.
Selon eux, si ce dernier n’avait pas encore pris le contrôle de mon corps, c’est parce que le Transfert s’était mal passé et par conséquent devait reprendre des forces pour apparaître. Si toutefois, bien sûr, il y avait eu transfert, ce qui était loin d’être une certitude dans nos rangs.

Les semaines passaient vite, je n’arrivais même plus à m’en rendre compte. Cela faisait maintenant un mois que je n’avais revu mes parents, je ne les avais même pas eus au téléphone. Ils me manquaient. Un soir en sortant du lycée, je décidais de retrouver mes géniteurs chez eux. Je laissai un SMS à Sovan, histoire qu’il sache où je me trouvais, et pris le bus, comme avant jusqu’à TV, comme j’appelais mon village perdu. Irrémédiablement, je rencontrai les parents des enfants qui rentraient de l’école, ils me regardaient étrangement, et je n’aimais pas ça. Je descendis la route passant devant le cimetière, j’étais bientôt arrivé à destination.

Les volets étaient fermés, la voiture de mon père n’était pas là, les velux, eux aussi, étaient clos, il me semblait que ça allait mal. J’essayai d’ouvrir les portes, rien à faire j’étais enfermé dehors.
Mes parents avaient dû partir en vacances ou dans la famille, cela pouvait vouloir dire qu’ils venaient tout juste de partir, soit qu’ils n’allaient pas tarder à rentrer. Mais je n’en savais strictement rien, et ne pouvais attendre peut-être plusieurs jours… Je devais me résigner, ça ne serait pas aujourd’hui que je renouerais les liens familiaux. Je devais rentrer à La Machine. Sur le trajet, j’en profitai pour appeler ma grand-mère, qui, passé les leçons de morales et les histoires dans la famille, m’apprit que mes parents restaient quelques jours en Normandie. Ils ne m’avaient pas prévenu. Remerciant ma grand-mère pour l’information, je pris congé et lui laissa mon adresse en attendant. Je compris qu’elle s’inquiétait tout de même pour moi, lorsqu’elle me dit « Prends garde à toi avec ces deux hommes. »
Je souris et, marchais d’un pas plus léger sur la route. C’était comme si un poids était tombé de mes épaules. Ce n’était que partie remise au final, me dis-je.

En arrivant à l’appartement des Mendez, Michel était déjà rentré. Il me demanda comment cela c’était passé avec mes parents. Il était déjà au courant, Sovan avait dû lui dire. Cette conclusion me fit frissonner, je me sentais comme espionné dans un univers étriqué. Mais je tirai un trait invisible sur cette pensée, pour la retirer de ma mémoire.
Nous étions en novembre, et il était également temps pour moi de réfléchir sérieusement à mon avenir. Mon projet personnel de quitter la Nièvre était toujours pour moi une priorité. Partir, mais pour aller où, je ne le savais pas vraiment, loin était une première piste. Je m’étais mis, pour remplir les documents, dans la chambre d’ami qui servait aussi de salle de détente. Aux murs se trouvait un planisphère et une carte de France, et entre les deux un jeu de fléchettes. Une idée me traversa l’esprit.
Je saisis les six fléchettes, leur accrocha des post-it avec des numéros. Tout en fermant les yeux, je les lançai. Une fois l’office terminé, je rouvris les yeux pour découvrir les lieux piqués. Tarbes, Cahors, Nîmes, Brest, Nantes, mais il en manquait une, je cherchai sur le mur, rien, c’est alors que je la remarquai. Plantée là sur le planisphère, elle m’indiquait Québec. Je souris, le hasard me plaisait, je remplis alors le formulaire d’inscription pour les différents lycées, enfin j’ai tout d’abord cherché les BTS disponibles dans les villes suscitées.
Si seulement je pouvais être pris à l’étranger, ce serait génial… ah les rêveries… mais la voix de Sovan m’appelant me tira de ce doux mirage.

Il s’inquiétait pour moi et voulait me remonter le moral, par rapport à la non-rencontre avec mes parents. J’ai essayé tant bien que mal, enfin plus mal que bien, de le rassurer. Il insista alors pour me sortir, me changer les idées, mais en le remerciant je lui expliquai que j’avais du boulot, et regagnai ma chambre.
A peine allongé, les bras de Morphée m’accueillirent en leur sein, et le monde chimérique m’offrit son corps. Mais ce qu’il m’offrit, me fit frissonner. Noir, un black-out total. J’apparus légèrement, tel une flamme vacillante dans le vent, n’éclairant à peine, je ne savais pas où j’étais. Je tremblais. Puis le monde de l’inverse apparut. Le noir tomba dans l’ombre. Le jour, ou plutôt l’éclairage devint plus vif, aveuglant. J’étais en moi-même, enfermé dans mon corps, encore cette allusion à l’emprisonnement interne.

J’avais projeté une image de moi, dans mon propre esprit, je le reconnus, car ma vision propre à celui-ci était chaotique, et ce que je vis, l’était également. J’étais seul au milieu de nulle part, même si cet ailleurs était en moi, je me sentais perdu, désorienté. Une lande sauvage, qui n’avait pas toujours, était ainsi vu les ruines qui constellaient l’espace désertique. La lumière, était vive, mais paraissait ne plus venir que d’un seul endroit, peut-être était-ce un ersatz de soleil, ou un autre truc. Quoi qu’il en soit, les ombres développées par l’enchevêtrement des murs effondrés étaient effrayantes, presqu’apocalyptiques avec ces ombres rougeoyantes qui étalaient des formes étranges, ésotériques… Je ressentis cependant une espèce de souffle chaud qui essayait de me réconforter, de me rassurer, de m’amener ailleurs. Mais quelque chose d’autre me retenait, une force qui semblait combattre cette douce chaleur. C’était violent, froid, quasi glacial. Mes yeux se posaient partout, mais nulle trace de cette chose terrifiante qui gelait mes pensées.

Mon sang circulait en moi, je le percevais, je pouvais, simplement en fermant les yeux, le voir se mouvoir, je remontai visuellement jusqu'à son origine, l’organe de vie, de ma vie, mon cœur… Je le voyais battre, tranquillement, rien ne paraissait le terrifier, lui. Puisse-t-il me donner la force de tout affronter.
Mais en un éclair, qui n’apparut pas, je me retrouvai ailleurs, dans un lieu totalement différent aux premiers regards. Un désert se tenait devant moi, s’offrait à moi. Rien, personne, que des ruines, sans âme qui vive. ce décor m'était inconnu, cependant, aussi étrange que cela puisse paraître, il me semblait reconnaître des choses, mais cela m’apparaissait presque improbable. Cet univers différait de ce que j’avais toujours connu, les couleurs n’étaient pas les mêmes. La lumière, les contrastes de la Nature, tout était différent. Mais je me demandais si ce n’était pas une vue de mon esprit, le ressenti de mon corps m’avertissait que quelque chose était différent, le lieu sans doute…

C’est alors qu’une partie de mon esprit m’avertit à son tour. Je n’étais plus sur Terre. Le sens des couleurs était différent, j’étais sur Tega-1, les choses était inversé, le vert de la Nature signifiait la mort, le jaune la vie. Pourquoi étais-je ici ? Pourquoi mon esprit m’avait envoyé ici ? Quel était le but ?
Je me promenai, essayant de quitter ce lieu, depuis un bon moment, enfin, je ne connaissais pas la vitesse de l’écoulement temporel. Je ne savais donc pas depuis combien de temps je me trouvais là. Après ce qu'il me semblait des heures je découvris une vaste plaine verdoyante, mais assombrie en son centre, des points noirs s’y trouvaient. Je m’approchai discrètement, mais plus j’avançais, plus je trouvais que quelque chose clochait. Tout était figé. Un éclair transperçant les sombres nuages. Un groupe d’oiseaux, ailes relevées, fixés, épinglés dans les airs. Les hommes, des guerriers, semble-t-il, aguerris pour certains en affrontaient d’autres, qui l’étaient beaucoup moins, mais ils tenaient tête. Tous armes à la main, des balles d’énergies stoppées en pleine course, étaient placées là, dans les lignes de mire d’armes. La lueur diffusée par l’éclair se reflétait sur les armures des combattants, c’était beau… Mais c’était également triste, une exquise et morbide beauté. Le sang encore gluant brillait, il formait comme du chewing-gum collant sous les semelles de ces guerriers qui auraient marché dedans. Tout était saisissant, je sentais la colère, la tristesse, l’envie de gagner, la peur de perdre ; la folie même, mais là je n’arrivais pas à déterminer d’où cela provenait.
L’on aurait dit qu’un artiste avait peint cette toile et que je m’étais retrouvé projeté à l’intérieur par je ne sais quel ensorcèlement.
Je ressentis soudain comme une piqûre à la base du cou, et me retrouvai projeté dans un autre lieu, mais l’impression d’être toujours sur Tega-1 était encore là. L’atmosphère était plus sombre, plus pesante ; une ambiance lugubre m’envahissait de nouveau.
Comme dans cette plaine tout était figé. Mais je décidais de faire un tour, histoire de trouver un endroit pour sortir, une échappatoire. La tâche pourrait être ardue, à peine avais-je fait une vingtaine de pas qu’une multitude de corridors s’offrait à moi ; un vrai labyrinthe. Que faire ? Je n’en savais strictement rien. Mais comme je n’avais le choix, en fait j’en avais trop, mais qu’un seul objectif, fuir, alors j’en pris un au hasard.
Je progressais lentement, il faisait presque noir. Et une crainte, peut-être une hantise, je ne sais si je devais aller jusque-là… j’avais peur que cette scène figée ne le soit plus, que tout se remette à bouger, et que quelqu’un me trouve, une personne qui ne soit pas heureuse de me voir.
Ah, une chandelle, je pourrais au moins me repérer, pensais-je. Je regardai autour de moi, rien, ou pas grand-chose, à part, accroché au mur, une espèce d’arbre généalogique. Une partie avait été brûlée, volontairement, cela se voyait. Je repérai au bout d’un moment Thélias et Nan’Quérib Doziko sur un même niveau, ainsi que, raccordé par un trait, Soliada Que Nevra, ainsi ce serait la femme de Sovan. Partant de ce lien un plus petit avec inscrit Torvin. Mon doigt frôla le nom, un geste involontaire émanant de mon cerveau qui m’indiquait que c’était ma place. Là, encore une fois par une magie qui m’était inconnue, quelque chose se passa, la zone brûlée ne l’était plus et je découvris qu’un lien de parenté très éloigné, liait la famille du Prince Kaszénomélos et celle de Sovan. Mais pourquoi le découvrais-je ainsi ? Encore une question sans réponse. Je repris cependant ma route.

Au bout d’un moment, que je trouvai très long, je découvris des objets brisés, détruits. Un corps gisait sans vie devant une fenêtre brisée, ou plutôt un miroir sans teint. Du sang s’était répandu sur le parquet, une dague était plantée dans le ventre du mort, visiblement il s’était défendu dans l’optique de protéger. Des gouttes de sang, apparemment de quelqu’un d’autre quittait les lieux pour se diriger dans un couloir assez étroit, un passage secret ?
J'empruntai cette piste sur une cinquantaine de mètres avant de trouver un homme en équilibre sur une jambe en position de course ; course poursuite. Je suivis donc le corridor dans lequel se dirigeait l’individu.
Je débouchai alors, une centaine de pas plus loin, dans une pièce encombrée de matériel bizarre, des alambiques, des Erlenmeyer, des Bécher, des engins informatiques en tout genre. Puis une lumière que je n’avais pas remarquée, m’attirait.
Une machine colorée de diodes, faite de verre, se tenait à droite devant une fenêtre. Des éclairs, des arcs électriques, eux aussi statufiés. Au milieu de tout ça, un homme… Ses traits étaient fins, un léger voile de barbe rongeait ses joues. Ses yeux étaient bleus-gris, une coiffure décoiffée, les cheveux collés sur sa peau par la sueur. Son regard reflétait la peur, mais laquelle ? Je remarquai alors qu’il y avait quelqu’un d’autre, un autre homme, plus sombre. Des cheveux "bouclés" couleur jais, des yeux noirs ou presque, un bouc taillé en pointe, glaçant. Dans son regard transpirait la haine. J’eus alors soudainement cette horrible et désagréable sensation que les yeux de ce dernier avaient bougé et s’étaient posés sur moi. Sa tête et ses bras, dirigés pour saisir le Prince Torvin, se trouvaient dans la machine.
Ces deux personnages me scrutaient, me sondaient, m’analysaient point par point. Le bouclé m’insufflait ce sentiment que je n’aimais pas, la panique. La peur.
Je me déplaçai pour quitter, fuir même, ce regard pénétrant. Qui, je ne comprenais toujours pas, dans ce monde illusoire, immobile, comment ses yeux avaient pu dévier, dans cet univers fantasmagorique pétrifié. Et, ce changement d'angle de vue, m’offrit un nouvel élément du décor à découvrir. Un aveuglant rayon descendant tout droit des étoiles était sur le point de toucher cette étrange machine. Cet éblouissement me rappela quelque chose, même couleur même intensité que celle qui m’avait touché après la signature du pacte…

Une vif halo m’entoura, et me projeta dans un autre lieu. Un endroit de mort, tout autour de moi, tout n’était que trépas et désolations, des corps sans vie baignant dans une espèce de liquide, qu’un éclairage étrange illuminait de carmin… pourquoi ? Encore un pourquoi. Et avant qu’une quelconque réponse ne m’apparaisse, un nouveau flash m’emporta ailleurs.

Je me suis réveillé dans la chambre d’ami de l’appartement des Mendez, me relevant d’un bond et respirant bruyamment. Michel arriva précipitamment, alerté par un cri que j’avais poussé durant mon sommeil.
— Que s’est-il passé ?
— Je… Un cauchemar sans doute… (Je ne m’expliquai pas pourquoi, mais je sentais qu’il valait mieux que je ne parle pas de la vision que j’avais eu de Torvin agressé par Kaszénomélos dans la machine…)
— Qu’est-ce que tu as vu ?
— Je n’en suis pas sûr à 100%, mais je crois que j’étais sur Tega-1, mais tout était fixe, comme si je naviguais dans une photo. Il y avait cette bataille…
— Rien, ce n’est rien, c’est fini… Désolé que tu ais dû voir ça… J’en parlerai à Sovan quand il rentrera, il a été appelé dans la nuit…
Je le remerciai du regard avant qu’il ne sorte.

Je ne voulais pas qu’ils s’inquiètent pour moi. S’ils apprenaient que le Prince Kaszénomélos était dans la machine en compagnie de Torvin lorsque le Transfert a eu lieu, que feraient-ils ? Ils me tueraient sans doute. En un sens c’est ce qui devait se produire, j’avais gagné du temps. Mais je ne voulais plus céder mon corps comme ça. J’en étais le légitime propriétaire…

Lorsque Sovan rentra ce soir-là, Michel lui parla de ce rêve étrange, il vint me voir pour discuter, mais je n’avais rien à dire. Je ne pense pas qu’il s’en inquiéta, il fut, je crois, rassuré car j’étais en paix avec cela, du moins en apparence.

Les jours suivants ont vu le resserrage des liens avec Pryscilla, qui depuis quelques temps s’étaient un peu dissolus. Nous avons recherché, écrit des lignes et des lignes de texte par rapport au concours. L’invention, l’imagination ça nous connaissait… Bref, petit à petit nous recréions ces attaches qui s’étaient effilochées. Ça me faisait du bien de la retrouver, de s’amuser. En une semaine, nous avons donné une copie de notre article à sa prof pour qu’elle le lise, qu’elle nous donne son avis. Et pendant ce temps, nous avons repris notre HdP là où nous l’avions laissé…
Personnellement, je voulais donner à cette histoire une dimension instructive. Pour Prysc, ce n’était peut-être pas une super idée, ça pouvait être ennuyeux pour le lecteur. Mais certain du bien-fondé du concept, j’ai essayé de la convaincre en lui expliquant. Sachant que le personnage principal avait une divine filiation, il pourrait être drôle de par les lieux, leurs noms, d’évoquer le passé de Gaïa, ainsi que les autres mythologies du monde des Hommes par des notes de bas de page. Elle me dit que de toute façon j’étais l’instigateur de cette aventure à quatre mains, et que j’avais déjà écrit deux tomes de Naissance Inconnue, alors c’était à moi de décider. Au moins, je restais maître de mes travaux. Il était temps pour nous de faire toutes les recherches nécessaires, afin de poursuivre sereinement l’écriture de ce roman. Il nous fallait étudier les différentes mythologies de l’ancien monde, trouver les plus intéressantes, des détails pas toujours connus, des traîtrises… Une petite partie de plaisir pour moi, qui adore les mythes, et donc j’avais déjà quelques préférences. Mais pour ne pas me voiler la face, faire de mauvais choix, je décidais d’en relire beaucoup.

*

Nous approchions de Noël et du résultat de l'affrontement de journaux… La prof de Prysc, avait trouvé notre article complètement ridicule et nous avait expressément demandé d’en faire un qui soit plus classique. Nous n’étions pas d’accord, et comme c’était à nous d’envoyer notre article, nous avons décidé d’en faire un autre. Un autre, plus classique. Un autre qui ne serait vu que par la prof. Nous avons mis un peu moins de deux jours pour le rédiger, entre les cours, ça ne me plaisait pas. Mais il fallait donner le change. Lorsque nous lui montrâmes le deuxième article, elle sembla plutôt satisfaite, et nous aida à corriger quelques imperfections, quelques tournures de phrase, pas assez journalistique. Nous lui avons même laissé opérer quelques changements. Nous, on avait déjà envoyé l’article, le vrai, le seul, l’unique, qui avait une valeur à nos yeux.
Bref, le 18 décembre nous nous sommes rendus à Nevers, pour le concours. Rendez-vous été pris à neuf heures. Neuf heures à Nevers, étrange et burlesque jeu de mots. Quoi qu’il en soit après une visite du journal. Les presses, rouleaux énormes ressemblant à des rouleaux compresseurs, servant à écraser les nouvelles sur le papier… Magnifiques… Nous avons eu droit à la promulgation des résultats, nous étions arrivés deuxième. Cependant le président du jury expliqua à l’assemblée ici réunie que nous aurions pu arriver premiers, grâce à un talent d’écriture certain. Mais comme l’article était plus fantasque que réaliste, nous avons perdu la première place au détriment d’un article plus consensuel. A ces explications, la prof nous regarda d’un drôle d’œil. Prysc et moi, nous nous sourîmes nous étions déjà satisfait d’être arrivés seconds. En plus, le vrai but de cette épreuve, pour nous j’entends, était de nous faire connaître. Des fois qu’un jour nos noms ressortent au grand jour. Mais nous avions également réussi à faire publier un article basé sur le fantastique et non sur le réaliste…

Le soir même, nous étions en vacances. Nous avions déjà prévu de nous revoir durant ces congés hivernaux, mais Prysc me glissa à l’oreille, tel un secret, d’essayer de renouer les liens avec mes parents et de ne pas rester en présence exclusive avec les Mendez. Dans une seconde accolade, qui était de mon entreprise cette fois-ci, je la remerciai de sa présence.

Le lendemain donc, comme je l’avais promis à mon amie, je pris la direction de Trois-Vèvres, Sovan m’avait prêté sa voiture. Ça me faisait drôle de conduire ce modèle, je sentais toute la puissance qu’elle possédait, mais pas d’abus, j’avais un A au "cul", et je logeais chez un flic…
Bref, l’on m’a longtemps dit que Noël était une période de paix, de pardon… La clémence de la Noël… Je ne voulais pas y croire. Jusqu’à ce jour du moins. Car lorsque j’arrivai chez mes parents, une sorte de magie s’était opérée. Ma mère, tout d’abord, ouvrit la porte et lorsqu’elle me vit, me serra dans ses bras, me disant que je lui avais manqué. Mon père fit de même quelques minutes plus tard. L’on parla, on échangea beaucoup, je m’excusais aussi, mais au final, ils voulaient que je revienne auprès d’eux. J’hésitais, je les aimais, mais de vivre chez les Mendez m’avait offert un sentiment de liberté auquel je m’étais habitué petit à petit. Alors étant donné qu’ils m’avaient pardonné, je décidai de rester durant la fin d’année. Et, je leur demandai si Sovan et Michel pouvaient passer Noël avec nous, ils étaient seuls sur Terre, mais cela je le gardais pour moi. Ils n’étaient pas forcément pour, cependant en insistant un peu, ils cédèrent.
Lorsque j’annonçai la nouvelle aux frères Mendez, ils hésitèrent un instant, se sentant un peu responsable de cette fracture avec mes parents. Mais j’avais envie qu’ils se rencontrent pour faire connaissance.
Au soir du vingt-quatre décembre après avoir travaillé sur les mythologies et aidé en cuisine, Sovan et Michel arrivèrent. Nous prîmes un apéro et les cadeaux se troquèrent. Les deux frères se regardèrent et me tendirent une enveloppe, je les regardai perplexe et j’ouvris. A l’intérieur, inscrit sur un papier, « un cadeau t’attend à l’appart’ ». Je les remerciai en ignorant toujours ce que c’était. Bref, la soirée se passa très bien, mes parents semblèrent les apprécier. Ils se renseignèrent si je n’avais pas eu de soucis ou autres pendant que j’étais chez eux. Et ils proposèrent même de les payer pour s’être bien occupés de moi, ce que les deux frères refusèrent d’un ton très catégorique… La soirée dura jusqu’aux environs de trois heures du matin, c’est pour dire si mes parents avaient passé une bonne soirée, car habituellement, le réveillon s’éternise beaucoup moins.
Le lendemain, enfin plutôt le jour de la Nature, dans les rites païens, j’appelai Prysc, pour prendre de ses nouvelles. Nous étions de nouveau sur la même longueur d’onde. J’avais réussi, et j’en étais plus que content, enfin un but d'atteint.

*

A la rentrée, pour bien nous faire comprendre qu’on était dans une dure année, celle du bac, eh bien nous avons eu droit à un examen blanc, de trois jours, un cadeau, du gros mec barbu habillé en rouge, un peu en retard… Trop sympa… Bref, n’ayant pas forcément bossé durant les vacances, c’était comique, je riais, nerveusement. Le premier soir de ce bac blanc, je rentrai chez les Mendez. Là, je découvris mon paquet de Noël. Ils étaient dingues, ils m’avaient offert un pc portable. Mon tout premier. Ils étaient d’une générosité, impressionnante… Et, à peine fini de configurer l’ordinateur, la porte s’ouvrit, Sovan apparut dans l’encadrement. Je me levai d’un bond et me précipitai vers lui.

— Père, c’est si bon de vous revoir, enfin…
— Quoi ? A quoi joues-tu, Dorian ?
— Mais, Père, c’est moi.
— To… Torvin, mon fils… Sa voix s’étrangla, ses joues s’empourprèrent, des larmes perlèrent dans les commissures de ses yeux…
— Père, séchez vos larmes, n’êtes-vous point content de me retrouver.
— Si…si bi… Sa voix se bloquait de plus en plus, il n’arrivait plus à parler correctement.
— Père, si vous saviez à quel point je voulais vous retrouver…
— Mais moi aussi, mon fils, c’est tellement inattendu, tant de temps après le Transfert, une vraie surprise qui me bouleverse par l’émotion dégagée par ta présence… Il y a juste une chose que je regrette de ton arrivée si soudaine, pas que je ne sois pas heureux de te revoir. Mais, depuis quelques temps Dorian, le corps que tu habites, vit chez nous, et nous nous sommes attachés. Nous n’avons pas eu le temps de lui dire au revoir…
— Mais Père, séchez vos larmes, Dorian est toujours là, il voit tout ce que je vois, vit tout ce que je vis… Il est moi et je suis lui, et ce sera toujours ainsi. J’ai l’impression que c’est un peu exceptionnel ce partage d’esprit et de corps, car je crois avoir compris que ce n’est pas pareil pour vous et Thélias…
Sovan se déplaça dans la pièce et constata que j’avais ouvert mon cadeau, il fixa l’écran quelques secondes. Il se retourna vers moi.
— Excuse-moi, non, c’est vrai, c’est différent… Mais je ne m’explique pas un changement aussi soudain, tant de temps après le Transfert… Il y a encore quelques secondes, Dorian était là, il complétait la fiche d’enregistrement de son PC.
— Son quoi ?
— Son PC, étrange que tu ne connaisses pas, les connaissances de Dorian devraient pourtant t’appartenir, c’était vraiment soudain, pour que tout ne soit pas fait encore. Quoi qu’il en soit, un PC est un ordinateur, comme les nôtres. Bref, oublions ça, je suis si heureux de te voir à présent, mon fils… Je… Non, c’est trop tôt…
— Quoi…
— Non, oublie, je prendrais des nouvelles de Tega-1 plus tard, quand Michel sera là, je veux dire Thélias. D’ailleurs à ce propos, ici sur Terre, nos noms Tégasien, restent secrets, nous utilisons le nom de nos hôtes. Nous ignorons si nos ennemis n’ont pas trouvé un moyen de venir sur Terre également…
— Quoi, tu te fous de moi, Sovan, tu m’as dit au moment où j’ai signé le Pacte que tes ennemis ne pouvaient être présents ici…
— Mais… ? Dorian ?
— Oui, c’est de nouveau moi.
— Comment est-ce possible ?
— Je n’en sais rien, tout ce que je sais c’est que ton fils semblait fatigué et je suis revenu.

A vrai dire, je ne savais pas exactement comment cela s’est produit à l’époque. C’était comme si le fait que Sovan ait trompé ma confiance, m’avait réveillé. J’écoutais tout, je voyais tout ce que Torvin,  ce que mon corps regardait, j’étais spectateur, du monde qui m’entourait, comme dans une phase de stase qui se débloqua d’un coup d’un seul à l’évocation de ce mensonge. Il était telle une aiguille qui vint me piquer pour me réveiller, un sursaut de conscience.
Avant que Sovan ait pu réagir, je récupérai mon blouson et repoussait le gendarme contre le mur, surpris, il retomba sur son séant et je partis précipitamment.

Ce soir-là, je ne sais pas vraiment ce qui m’avait pris, je voulus fuir, ma vie, mon corps, tout ce que j’étais, refouler mes envies, mes attentes des autres, en un mot : tout. Je revins à l’appartement aux environs de minuit. Michel et Sovan étaient toujours debout, d’ailleurs le deuxième était au téléphone, resta interdit en me voyant dans l’encadrement de la porte, il dit précipitamment « C’est bon il est revenu » et raccrocha.
— Sovan, je voulais m’excuser, je n’ai pas été correct envers toi tout à l’heure.
— C’est à moi plutôt. En fait, nous sommes dans l’inconnue la plus totale. D’une part envers toi et d’autre part envers nous et notre peuple. Je ne sais comment toi ou Torvin pouvez prendre le contrôle de ton corps par intermittence, nous ne savons pas si nos ennemis ont découvert notre secret de voyage de refuge sur une autre planète… Nous sommes dans le flou, ce qui nous rend maladroit…
La fatigue nous tenait en laisse, chacun partit se coucher. A peine, m’étais-je mis au lit que la porte s’ouvrit, dans un rai de lumière je reconnus Michel. Il me demanda en chuchotant si je ne dormais pas, je fis non de la tête. Nous parlâmes un bon moment, il est étrange comme notre relation avait évolué depuis que nous nous connaissions, comme quoi la découverte d’un secret pouvait tout changer. En fait, ce qui l'intéressait c'était de savoir si j’avais ressenti quelque chose de différent quand Torvin m’avait remplacé, je lui répondis que non, il demanda également si, à mon avis ce que je savais, Torvin y avait accès. La réponse était difficile à formuler, quand le fils de Sovan avait pris le contrôle de mon corps, je voyais et entendais tout ce qui se passait, je suppose que c’est également possible dans le sens inverse. Alors, oui, sans doute, Torvin était au courant pour son homosexualité, mais je n'en avais pas la certitude.

Dans les mois qui suivirent, jamais Torvin n’est reparu. Il avait mis déjà tellement de temps à s’être manifesté une première fois, que cela était étrange. J’avais éprouvé cette fatigue de son esprit quand j’avais repris le contrôle. Comment ? Le fait que Torvin ne soit pas seul, dans la machine lorsque le Transfert à eu lieu, aurait-il pu amoindrir les forces psychiques du jeune homme ? Mais, c'en est l'explication, Kaszénomélos aurait-il subi la même "sanction" ? Je n’avais pas cette sensation, au contraire, je le sentais toujours présent, la colère émanait de lui, j'en étais persuadé. 

De ce que j’en savais, ce que j’avais appris au fil du temps et du glanage d’informations, le Prince Kaszénomélos était un grand combattant, avec un esprit pugnace, habitué à tout régenter dans sa vie. Il eut souffert de nombreuses épreuves dans sa jeunesse. La mort de son père, mais paraît-il qu’il en serait aussi l’instigateur… La fourberie et la traîtrise n’attendent pas le nombre des années. Il faisait partie de mon être maintenant, mais à la bonne heure, il ne s’était point encore manifesté, et j’espérais ardemment qu’il ne le fit. Torvin, de ce que Sovan et Michel m’en avaient dit, n’était pas du genre à se mettre en avant. Non, lui jouait en plein jour, il était un orateur hors pair, insufflant par ses paroles, l’espoir dont chacun a besoin pour avancer, pour survivre. Une envie, un espoir, qui étaient telle une lumière, un phare dans une nuit, une guerre qui s’éternisait depuis si longtemps que l’origine du conflit s’en était perdu. Il ne restait plus qu’une vengeance de terres perdues…

Le temps fit son ouvrage, les choses passaient, nous sommes tous des spectateurs à un moment ou à un autre de nos vies. Je reçus les réponses des différents lycées où j’avais postulé, positives pour beaucoup, je n’étais pas si mauvais en fin de compte, mais ce n’était que des réponses provisoires, elles attendaient les résultats du bac pour devenir définitives. Elles étaient arrivées chez mes parents et ils me les donnèrent un soir chez les Mendez. Lorsqu’ils partirent, je dus prendre mon courage à deux mains, ou six si l’on compte les deux Tégasiens qui m’habitaient, pour révéler aux deux frères que je voulais partir quitter ce lieu. Je ne savais pas encore trop où parmi les lycées qui m’acceptaient mais depuis tout petit je voulais m’en aller. A ma grande surprise, même si ce n’était pas leur volonté première, ils acceptèrent. Ce qui leur posaient problème, et c’était tout naturel, était le fait que j’étais l’hôte de Torvin qui ne s’était manifesté qu’une seule fois.

— J’ai signé un pacte et le respecterais, c’est ce que je leur dit.
— Mais nous te faisons confiance, me dit Michel qui savait plus que personne que je pouvais garder un secret.
— Et je serais garant de nos actions…
— To… Torvin ?
— Oui, père, Thélias, heureux de te revoir.
— Torvin, mais comment ?
— J’ai retrouvé assez de force pour m’exprimer.
— Puisque tu es de retour, j’espère que tu resteras présent. Et, que tu choisiras le lycée de Decize.
— Non, je suis désolé, Père, mais Dorian a besoin de s’éloigner. Rester ici dans ce lycée qu’il déteste, l’étoufferait et moi, par la même occasion. Nous vous aimons beaucoup. Mais ce principe de Transfert de prendre le corps d’un hôte, ne me plaît pas. Ce jeune homme a des rêves aussi. S’il ne les transforme pas en réalité, son état psychologique s’en retrouverait dégradé, et par conséquent moi aussi. Je suis déjà extrêmement fatigué, la prise de contrôle de ce corps me demande beaucoup d’énergie. Alors je vous le demande, laissez Dorian, laissez-nous partir étudier ailleurs.
— Mais, Torvin, mon fils, nous aimerions tellement passer du temps avec toi.
— Mais, Père, si nous partons, nous reviendrons pendant les vacances scolaires. Je sais que Dorian vous apprécie beaucoup, donc nous reviendrons. Et de nous voir de temps en temps, j’engrangerais assez d’énergie, de force, pour pouvoir vous parler dès que nous nous retrouverons. Et puis, d’ici que nous partions, il reste du temps, nous aurons le temps de parler des conflits sur Tega-1. Je vous en fais la promesse. Et soyons honnêtes, la distance entre son futur lieu d'étude et notre planète, est forcément beaucoup moins grande.

Il était étrange que Torvin puisse prendre le contrôle dans les moments, où j’en avais besoin. Par deux fois, il m'offrit la possibilité d’évoluer et de me permettre de faire ce que je voulais. Mais aussi étrange que cela puisse paraître, je ressentais vraiment la fatigue qui envahissait Torvin, c’était comme s’il y’avait quelque chose qui pompait son énergie, sa force vitale, mais quoi ? Je ne percevais rien, à part une ombre planant en moi… J’étais mal à cette idée, surtout que je commençais à m’attacher à ce Prince. Il devait vraiment y avoir quelque chose dans ce peuple qui fait qu’on s’accroche à eux… Ou alors était-ce moi qui appréciais ce qu’ils étaient…

Mai arriva et, avec lui, les premières épreuves du bac. Les épreuves orales m’étaient pénibles, toujours cette appréhension face à l’inconnu. Enfin, sachant que mon avenir était en jeu, mon cœur battait plus fort encore… Ce qui ne m’aida pas vraiment. Premier oral, je m’étais emporté face à une incompréhension des membres du jury qui me contredisaient sur tout. Ils ne connaissaient pas le mot scenarii, pour eux, ça ne pouvait être le pluriel de scénario…. Après ils ont voulu que je leur explique ce qui différait entre deux systèmes d’exploitations… Bref, j’en suis ressorti miné.
Le lendemain anglais, épreuve plutôt sympathique s’il en est, un texte assez intéressant sur un contexte économique difficile suite à l’invasion de martiens… Moi ils ne venaient pas de la planète Mars, mais j’imaginais bien le truc, bon après l’économie, moyen.
Les épreuves s’enchaînèrent ainsi jusqu’à la fin du mois de juin, avec une épreuve d’histoire géographie où ma "naïveté" craintive me coûta un point.

Quoiqu’il en soit, je m’étais senti de plus en plus à l’aise dans les épreuves, comme si on m’insufflait une force positive de l’intérieur.
Les résultats tombèrent dix jours plus tard, j’avais mon bac et donc mon passeport pour ailleurs. Récupérant mes notes d’une main, je les envoyais déjà à Tarbes. La première personne que j’appelai pour lui communiquer mon résultat, fut Prysc, mes parents ensuite, et enfin les Mendez. Tous furent contents pour moi. Mais je savais que ça blessait tout de même ces derniers, car cela signifiait que je partirai dès la fin août et donc éloignerai Torvin de son père…

Vers la fin de juillet, je perdis le contrôle de mon corps et la violence s’empara de moi. Tout c’était produit lorsque je croisai dans la rue, un soir de pleine lune, un gars que je n’appréciais pas et qui me menait la vie dure dans le bus. Il me jeta un regard dédaigneux qui ne m’a guère plus sur l’instant. Dans la foulée qui suivit, je sentis cette hargne enflant en moi, rugissant de plus en plus fort, m’hérissant les poils, et je perdis connaissance", je ne devins que le triste témoin de ce monde spectacle.
Il s’est quasiment reproduit la même chose qu’avec Denis. Je ne sais plus exactement comment je l’ai abordé, mais le résultat fut le même. Les coups de poings s’enchaînèrent, j’en reçus pas mal, mais l’autre aussi. Il n’était même pas important pour moi, la preuve j’en ai oublié son nom avec le temps…

J’appris quelques jours plus tard, qu’il avait perdu connaissance et ne se rappelait plus ce qu’il s’était passé. Quoiqu’il en soit personne, pas même les deux frères ne firent le lien avec moi. De toute façon, il me croyait dans ma chambre chez eux, lorsque cela s’était produit. Ils ignoraient que j’aimais me promener dans les rues, la nuit, à l’abri des regards…

Les Mendez et mes parents prirent quelques jours de congés. Nous étions fin août et tous, nous voulions être ensemble pour mon "changement" de vie. J’alternais dans les voitures pendant le trajet de neuf heures. Quand vint le moment où j’étais avec les Mendez, dans leur voiture, je décidai délibérément de céder ma place à Torvin. Je sais également, comment je n’en sais rien, que je n’étais même plus spectateur. Je transmettais mon énergie psy à Torvin pour qu’il puisse parler pendant plus longtemps avec son père…

Lorsque je repris "conscience", une chaleur différente émanait de l’extérieur de la voiture. Nous étions à Tarbes…



Chapitre 6 : Lorsque les peurs se terrent…




Nous étions arrivés à Tarbes, mon nouveau lieu de vie, pour deux années, ou plus. Quoi qu’il en soit, après s’être légèrement perdus dans les rues de cette cité inconnue, nous arrivâmes à bon port.

Une file d’attente que je crus être interminable, courait de la "cabane" du gardien à cent mètres plus loin. Il fallait prendre son mal en patience. Mais il semblait rapide, heureusement pour nous. Nous avons cependant patienté une heure environ. Je remplis prestement les documents qui m’étaient présentés, pour gagner le droit d’obtenir une clé.

Après la découverte de mon nouvel appartement, il était temps de faire un peu de ménage, une fois fait, ne restait plus qu’à emménager. Ce qui se fit en temps et en heure.

*

Tarbes, nouveau lieu, nouvelle vie… Mes parents et les Mendez, après deux journées complètes passées ensemble, pour m’aider à me repérer, étaient repartis dans la Nièvre. Chacun y avait été de son commentaire, bien sûr, Michel et Sovan me demandèrent de les appeler s’il y avait la moindre manifestation de Tega-1 ; mes parents au cas où je me sentirais seul ou un problème d’argent. Je les ai enserrés les uns après les autres en guise d’au revoir.

Dans la journée de leur départ, m’étant suffisamment habitué à mon logement et ayant maintes fois fait le tour, j’eu la sensation qu’il me fallait partir visiter ma ville.
J’arpentais les rues, retombant souvent au même endroit, j’apprenais les tours et les détours, les raccourcis possibles. Il m’était étrange de ne pas croiser au croisement d’une rue, quelqu’un que je connaissais. Cela me fit chaud au cœur, je ne saurai rationnellement l’expliquer.
Au bout d’une heure, je me suis retrouvé devant Marie Curie, pas son fantôme irisé de vert radiation, mais du lycée, mon nouveau lieu d’étude. De là, je devais me guider pour le centre-ville… Apprendre, apprendre, je ne demandais que ça, je ne voulais pas passer pour quelqu’un tout droit sorti de sa cambrousse…

Le centre-ville était grouillant de vie, beaucoup de monde, beaucoup de jeunes, cela changeait de Decize City et sa populace vieillissante. Leurs regards passèrent sur moi sans s’arrêter, j’étais un inconnu parmi l’inconnue. Je dis ça, mais un gars, à la peau mate, me faisant penser à Sovan, m'observait. Il portait des vêtements assez sombres, rehaussés par un badge couleurs flashies, couleurs arc-en-ciel. Je détournais le regard et continuais de tracer ma route. J’essayais une autre rue et de fil en aiguilles me retrouvais dans le parc adjacent à mon lycée. Et, une vue magnifique s’offrit à moi. Les Pyrénées, avec le Pic du Midi en plein dans ma ligne de mire, quelle beauté !!! Elle me coupait le souffle… Je me sentais bien ici… Je respirais.

Après m’être extasié devant ce paysage idyllique, je rentrais au CROUS. En passant devant la loge du gardien, je remarquais l’homme qui avait fixé son attention sur moi, plus tôt dans la journée, de l’autre côté de la rue… Me suivait-il ? Courageux mais pas téméraire, et sans doute un poil parano, je me réfugiais chez moi, m’enfermant à double tour. Je restais là, jusqu’à tard dans la nuit, à bouquiner.
Un coup de fil me sortit de ma torpeur, mes parents me prévenaient qu’ils venaient d’arriver et qu’ils avaient fait bonne route.

Je m’endormis tranquillement, apaisé par cette nouvelle vie qui s’offrait à moi. J’avais trouvé une porte de sortie avec mon bac et en la passant ce que je discernai de l’autre côté de cette ouverture me plaisait… Ou du moins n’était pas pour me déplaire.

A mon réveil au petit matin, la première chose à laquelle j’ai pensé, fut « plus qu’une journée avant de découvrir mon lycée, ma classe, mon BTS.
Après une douche rafraîchissante, je décidais de profiter de ce dimanche de "liberté". Et pour ce faire, je débutais par une bonne résolution, un jogging.
Me donnant à fond dans la course, je fis plusieurs tours le parc accolé au CROUS, quand je vis que me suivait une cinquantaine de mètres plus loin, le même gars que la veille. S’en était trop, que faire ? Lui demander ce qu’il me voulait ? Mais, et si ce n’était qu’une coïncidence. Ce n’est peut-être que le hasard si trois fois en deux jours, je le croisais… Etais-je parano ? Si oui, l’avais-je toujours été ? Ce serait une explication à mon passé…

C’en était trop, c’est certain, non pas que j’étais couard, mais je ne pouvais aller le trouver, ou juste l’attendre. Que lui aurais-je dit ? Lui demander pourquoi il me filer le train ? Je passerais pour un idiot, s’il me répondait qu’il ne savait pas de quoi je parlais… Non, le mieux était de rentrer chez moi, je réfléchirais et verrais plus tard.

Le soir même, je préparais mon sac, dînais rapidement et j’ai regardé la télé jusqu’à minuit avant de m’endormir.
Je fis un rêve léger, revivant mon arrivée au CROUS et je ne sais si c’était une vue de l’esprit ou si cela s’était réellement produit, mais dans la file d’attente du premier jour, Il était déjà là.

Le lendemain, l’année scolaire débutait sous de bons augures, le ciel était bleu, les oiseaux chantaient, j’étais en joie, je ne devais pas être le seul, intérieurement une autre joie se mêlait à la mienne ; comme si mon bonheur, trouvait résonnance en Torvin.
Je me perdis pour accéder à la première salle de cours, qui n’en était pas vraiment un. Ce fut en fait une réunion de deux heures sur les tenants et les aboutissants du lycée et du BTS.
Je rencontrais rapidement mes camarades. Aïe, nous serions 33 dont seulement 3 mecs. Nous nous sommes regardés avec cette pensée commune : « les gars, va falloir se serrer les coudes pendant deux ans… »
L’on s’est séparé, partant chacun dans un sens, avec cette vérité, nous nous retrouverons dès le lendemain. La journée était terminée, ce fut énorme… Je suis rentré à mon appart, perplexe en examinant mon emploi du temps. Deux soirs à finir à 19h, ce sera dur, me suis-je dit.

Le soir, le Resto Universitaire venait d’ouvrir, je décidais de découvrir ce que cela donnait, prenant mon plateau et réglant, j'aperçus un peu plus loin, le jeune homme qui me "poursuivait", il était avec deux étudiantes. Il ne me vit pas, je m’éloignais un peu pour dîner, au calme. Lorsqu’il partit, je crus qu’il ne me verrait pas, mais en passant devant moi, il ne me dit « salut » que je lui rendis du tac-o-tac.

Un nouveau commença et fut la première journée de cours à proprement parler, bien que nous passâmes les trois premières heures à étudier les fondements du BTS et des activités professionnelles. Beaucoup de papier pour au final ne pas dire grand-chose, l’on se serait cru dans l’administration française…Endormir sous la masse pour entuber… Je déjeunais avec les deux gars de ma promotion, ils étaient plutôt sympas, ils s’étaient retrouvés là par défaut. En les écoutant, j’avais cette impression, même s’ils ne le savaient pas encore, qu’ils n’étaient pas dans la bonne voie. Mais que leur dire, je ne les connaissais pas encore assez.
Les heures défilèrent vite pour finalement s'allonger avec des cours épuisants, j’étais exténué. Il était difficile après deux mois de repos, de se replonger dans le monde des études. Cependant j’avais rencontré une prof très sympa, elle enseignait le français. Elle avait une pêche d’enfer, elle donnait réellement l’envie de bosser.
En rentrant chez moi, je me suis mis à bosser mes devoirs pour le lendemain, le tout en regardant la télé et en mangeant deux ou trois fruits.
La fatigue m’emporta, diluant les souvenirs du jour, exerçant la décompression du corps et de l’esprit.

J’ai sombré, l’air se faisait lourd, et pourtant le soleil ne brillait pas, des dizaines de points lumineux apparaissaient çà et là et restaient fixes. La nuit régnait. Des filaments de couleurs apparaissaient derrière les feux des véhicules et ne s’estompaient pas, ou longtemps après leur passage ; tout semblait se ralentir après le passage d’un objet.
J’étais là, sur le macadam, et pourtant mes yeux voyaient loin, levés vers le ciel, ils ne rencontrèrent qu’une façade d’immeuble. En son sommet, une silhouette se détachait de la pénombre. Ma vision, douée d’une capacité extraordinaire, me précipita à son niveau. il s'agissait d'un jeune ado, une quinzaine d’années tout au plus. Son regard était vide, comme si tout espoir s’était échappé de son être. Des larmes coulaient sur son visage.

Mon cœur cessa de battre. Je lui ai crié de ne pas faire ça, de reculer et je ne sais quoi d’autre. Ma voix ne portait pas. Je le vis avancer, sa jambe, son pied se posa dans le vide et n’étant pas assez lourd pour le porter, il céda. Son corps bascula, faisant un lent salto, laissant une empreinte indicible sur son passage ; une beauté que seule la mort peut apporter ; qui ne trouva qu’un macadam dur pour réception…
Le sang entoura le corps du jeune homme, je me retournais et vis le portail du Crous. J’ai hurlé, sans doute trop fort pour ce monde et l’autre, car tout était devenu silencieux, plus un seul gazouillis d’oiseau, plus de son du vent dans les feuilles. Soudain une voix, un appel, quelqu’un m’appelait. Des paroles incompréhensibles résonnaient et semblaient venir de nulle part et partout en même temps. Mon corps était parcouru de spasmes. Je me désagrégeais…

Lorsque j’ai ouvert les yeux, le contour  indistinct d'une personne penchée au-dessus de moi, elle essayait de me réveiller en me secouant. Au moment où mes yeux se désembuèrent du sommeil, la silhouette devint visage et il trouva une réponse dans ma mémoire. D’ailleurs, je me suis relevé d’un bond en le reconnaissant.
— Qu’est-ce que tu fais là ? Et d’abord qui es-tu ? Bafouillai-je
— Je t’ai entendu hurler, je suis ton voisin et…Euh comment dire tu m’as réveillé. J’ai frappé contre le mur, comme tu ne cessais d’hurler, et de fil en aiguille j’en suis venu jusqu’à ta porte qui n’était pas verrouillée.
— Je… Quoi, j’ai hurlé ?
— Oui, tu as dû faire un cauchemar ou je ne sais quoi, ça fait bien 10 minutes que tu hurles.
— Merci de m’avoir réveillé.
— De rien. Bon allez, je vais me recoucher, à bientôt peut-être.
— Euh, bonne nuit et encore désolé…
— Félipé, bonne nuit, à bientôt.
— Dorian, je m’appelle Dorian.
Cette fois-ci, après qu’il soit parti, j’ai fermé la porte à clé. A chaque fois que je clignais des yeux, je revoyais une scène de ce cauchemar. Je ne me rendormis plus cette nuit-là. Il était 3h du matin.

Après une nouvelle journée de cours, je me sentais fatigué, la nuit avait été courte et perturbé, les premiers signes de fatigues se faisaient sentir. Mais j’avais surtout faim. Je me rendis sans attendre au RU, peu de monde à cette heure-ci, en passant à la caisse je reconnus Félipé, de dos. Il était seul.
— Salut !
— B’soir Dorian, t’as l’air crevé !
— Hum, ouais, je ne me suis pas recouché après ton passage. Encore merci de m’avoir forcé à me réveiller, si tu n’avais pas été là, je ne sais pas où je serais.
— Ben tu aurais fini par te lever, tôt ou tard… Mais tu avais l’air paniqué ?
— Pas sûr… Oui, paniqué, sans doute. Euh, avant que l’on s’engage sur cette voie, je voudrais savoir pourquoi depuis que je suis dans cette ville, tu ne cesses de me suivre ?
— Quoi ? Je ne t’ai jamais suivi de ma vie, ni toi ni personne.
— L’autre jour en ville, le même soir devant le Crous, avant-hier dans le parc…
— J’n’ai pas fait attention, une coïncidence, sans doute. Enfin rassure-toi, je ne suis pas un psychopathe. Et il rigola avant de reprendre. Non, mais désolé, si tu as eu cette sensation, je n’y ai pas fait gaffe. Bon maintenant que mon cas est réglé, parle-moi, qu’est-ce que tu as vu dans ton cauchemar ?
— Tu ne rigoles pas, mais j’étais devant le Crous et j’ai vu, un jeune ado, qui sautait du haut de la HLM d’en face, ça semblait si réaliste…
— Wow, sinistre, répondit-il pensif…
— Je ne te le fais pas dire.
— Mais c’n’était qu’un rêve, alors passons.
— Tu fais quoi comme études ?
— Eh bien, tu as l’art de passer du coq à l’âne, il rigole de lui-même, je suis en troisième année à l’IUT, maths en fait. Et toi, Dorian ?

Nous discutâmes pendant près d’une heure au RU, le maigre plateau était largement vide, plus une miette de pain. Nous nous séparâmes ensuite en se disant que c’était un moment sympa. Ce qui m’apparut le plus étrange, c’est le fait qu’il soit dans ce Crous depuis trois années et que, d’après ce que j’avais compris, ne s’était jamais trop lié avec qui que ce soit. Je ne saisissais pas, c’était peut-être rapide, pour juger, mais il me semblait sympa, normal, aucunement étrange, alors pourquoi s’était-il lié à si peu de monde ?

Les jours passèrent, j’essayais de me faire des amis parmi mes camarades, mais ils ne concevaient pas vraiment que je puisse tout quitter pour venir à Tarbes. Quoi qu’il en soit, Julie me demanda de faire équipe avec elle pour nos Actions Professionnelles. En moins de deux heures de ballades en centre-ville, nous trouvâmes, l’action adéquate, un magasin de Design, nouvellement ouvert, une aubaine…

J’arrivai au fil des jours à m’intégrer petit à petit dans ma classe. Comme quoi le fait de ne pas aimer un prof, de droit en l’occurrence, permet de se rapprocher. Cette maxime bien connue était vraie, les ennemis de mes ennemis sont mes amis… Enfin presque.
Nous étions le vendredi soir de ma deuxième semaine de cours, j’avais dîné tous les soirs avec Félipé, une sorte d’habitude qui se prend, sans s’en rendre compte, mais si une seule fois, il y avait eu manquement, il y aurait eu ce sentiment de vide, un ennui qui se crée. Nous apprenions à nous connaître tranquillement, une amitié naissait.

Nous étions vendredi aux environs de minuit quand Félipé fit irruption chez moi alors que je matais la télé et ses absurdités.
Il avait les yeux rougis, le regard vide. Je sus que quelque chose venait de se passer. Je me relever de mon lit.
— Dorian, tu't souviens d'ton rêve de l’autre nuit ?
— Bien sûr, comment pourrais-je oublier ? Je ne dors plus depuis.
— Assis-toi alors !
Il me faisait peur, mais je sentais la terreur dans sa voix, sa peur envers moi. Toutefois je m’assis, docilement…
— Dorian, quelqu’un vient de se suicider d’une tour de Solazur, il avait quinze ans.
— Mon… mon… quoi ?
— Un jeune de quinze ans s’est jeté du haut d’une tour d'la cité d’en face…

Je n’arrivai pas à le croire et pourtant je comprenais sa réaction vis-à-vis de moi. J’avais fait un rêve prémonitoire. J’étais un monstre, non pas pour avoir prévu ce moment, mais pour ne rien avoir fait pour l’empêcher. J’apprendrais le lundi suivant qu’il était dans le même groupe scolaire que moi.
Je n’ai pas su comment réagir à cet instant. Je voulus appeler Sovan et Michel, mais je n’étais pas seul. J'ignorais comment faire quitter l'appartement à Félipé, mais, je le fis peut-être méchamment en lui disant qu’il devait partir, je voulais rester seul. A peine sorti, je composais le numéro de Sovan. Il ne répondit pas. Je tournais dans la chambre comme un lion en cage. J’entendais Félipé dans la chambre à côté, il fulminait contre moi, il m’en voulait, je m’en voulais.
Sovan me rappela une dizaine de minutes plus tard, inquiet que j’ai appelé si tard.
— J’ai besoin de savoir si Torvin avait un don prémonitoire ?
— Quoi ? Euh, non, pas que je sache, mais pourquoi cette question ?
— Je… Je m’interroge… Père, c’est moi, il s’est passé quelque chose d’étrange…
— Torvin ?
— Oui, c’est moi. Nous avons rêvé quelque chose de dramatique qui s’est produit. Un suicide, un jeune de ce monde a sauté dans le vide, et nous l’avions prédit.
— Mais comment est-ce possible ? 
— Je n’en sais rien. Mais demande à Thélias s’il n’y a pas des précédents dans le royaume, moi, je n’en ai pas souvenir, et c’est lui qui était en contact direct avec le peuple.
— Je le ferais, rassure-toi, et sinon comment ça se passe la vie à Tarbes.
— Plutôt très bien, à vrai dire, je reste en éveil, au cas où. Mais père, je me souviens de quelque chose qui date du Transfert.
— Quoi ? Qu’est-ce qui a fait que l’on se retrouve dans une telle situation ?
— Le soir de l’Extraction, il y a eu une a…
— Quoi ?
— Sovan ?
— Dorian, fait revenir Torvin, il était sur le point de me dire quelque chose d’important.
— Je ne peux pas, je ne sais pas faire ce que tu me demandes.
— Sais-tu ce qu’il voulait dire ?
— Non, j’en suis désolé. J’ai l’impression qu’il peut lire en moi, mais l’inverse n’est pas possible pour le coup.
— Logiquement tu devrais y arriver, mais ton cas est vraiment particulier, à moins qu’il y ait quelque chose d’autre. Mais il ne servirait à rien de tergiverser ainsi. En ce qui concerne cette prémonition…
— Tu demanderas à Michel, ça je l’ai entendu.
— Oui, bonne nuit.
— C’est ça, ciao.
Il me cachait quelque chose, qu’est-ce que cela pouvait bien être. Ça me rendait dingue, je souffrais et il ne me disait pas tout. Plus j’enrageais et plus j’entendais cette petite voix au fond de mon être qui se réveillait comme sortie d’une torpeur. Cette pensée qui me susurrait, qui m’incitait à aller voir Sovan et le frapper pour qu’il me donne ses informations.

Je ne voulais pas l’écouter, j’étais sous le choc de cette mort, de cette "prémonition". Mais même si ma conversation avec le père de celui qui m’habitait par intérim, ne m’avait pas encore avancé, elle m’avait fait me sentir mal vis-à-vis de mon voisin. Je me mettais à sa place, l’on m’aurait traité ainsi, je me serais foutu une "baffe". J’ai toqué au mur, histoire d’attirer son attention, et me suis excusé, il n’y eut pas de réponse. Je ne dormis pas cette nuit-là.

Le dimanche suivant, n’ayant pas croisé Félipé de la veille, je décidai qu’il était temps d’aller le voir et de m’excuser en face à face… Mais au moment où j’allais franchir la porte, Sovan m’appela. Malgré la mémoire de Thélias, il n’avait pas souvenir qu’un tel cas de prémonition ait pu exister sur Tega-1. Cela ne m’aidait pas beaucoup à avancer. Alors contre toute attente, il me demanda si, à tout hasard, dans ma famille, il y avait eu des précédents. Bien entendu la réponse était négative. Je restais dans l’incertitude, ce qui je l’avoue n’était pas forcément agréable. La Voix m’insufflait de ne pas m’endormir, de rester toujours en éveil, à l’écoute… car c’était ainsi et uniquement ainsi que l’on pouvait survivre…

Je ne sais pas ce qui me prit, et comme ceux qui m’entouraient, ne me donnaient pas de bon conseil, j’ai décidé sur l’instant de faire ce que me susurrait cette Voix. Me posant énormément de questions par nature, j’ai continué à le faire, mais plus intensément. Rien ne semblait être ce qu’il paraissait, tout avait une face cachée qui était appliquée ou que je faisais apparaître, me voilant la face. En premier lieu, il y avait leur amitié qui depuis le départ, m’avait l'air suspecte. Comprenant que mon caractère ressemblait à celui de Torvin, cependant je ne devais pas être le seul. De plus, ils m’avaient gardé chez eux, ce ne pouvait être de la charité… ils, ils nous surveillaient…Oui, c’est ça, ils nous surveillaient… Ils avaient un plan depuis le début pour le Transfert, quel était-il… ? Ce qui me paraissait louche, c’est qu’ils m’aient permis de partir pour Tarbes… A moins que… Si je ne peux entendre les pensées de Torvin, lui y parvient… ce devait être ça, ils m’avaient laissé venir ici, car Torvin est leur "espion", mon ennemi intérieur. J’avais envie de les appeler et leur dire d’aller se faire foutre. Mais me retins, ce n’était que leur donner trop d’importance à les contacter.

Un peu plus tard, l’on frappa à ma porte, je reconnus le toc-toc de Félipé, et lui dis d’entrer. A peine, avait-il passé le micro-couloir que représentait ma kitchenette, que je lui présentai mes excuses les plus sincères, que je n’aurai pas dû le traiter ainsi… Pour me faire pardonner, je l’ai invité au cinéma. Nous sommes allés voir Good Bye, Lenin ! Un bon petit film, drôle et intrigant. Joyeux et empli de faux semblants. Il n’avait pas forcément eu envie d’y aller, mais en ressortant de la séance, Félipé était ravi, moi aussi. Pour me remercier de lui avoir fait découvrir ce film, il m’offrit un apéro au retour à la cité U.

Dans l’après-midi, la Voix me susurra de partir, qu’il y avait autre chose à faire, je m'exécutai.

Le lendemain soir, alors que je dîner au RU, je vis arriver deux gars d’un bâtiment voisin, avec le nez fracturé et pas mal de contusions au visage. « Le club de boxe a rouvert ses portes » me glissa Félipé. Une information intéressante, à retenir, dès fois qu’une envie de défoulement se fasse sentir…
Nous dînâmes tranquillement, mais quelque chose me perturbait, cette étrange sensation d’être l’objet de regards. Me retournant sans cesse, je n’en croisais aucun d’anormal. Lorsque nous sortîmes, j’entendis des murmures, « quel connard çui-là ».

Les jours, les semaines passèrent, les affinités se construisirent, se renforcèrent et les nez bandés s’accrurent. Je ne sais pas ce qu’il se passait, mais j’avais un doute quant à la responsabilité du club de boxe dans cette histoire. Il n’était guère probable qu’ils y soient tous inscrits, et pourtant je n’en savais rien. En même temps je m’en fichais, j’étais serein… La Voix se faisait silence, mis à part quelques rires gras en croisant des "bandages", cependant plus le temps passait, moins elle rigolait fort, comme si elle se lassait de tout ça…
C’est donc à ce moment-là que je me suis posé cette question qui je l’avoue, aurait dû m’inquiéter plus avant, mais sans doute une lâcheté inavouée me plaçait "un voile" devant les yeux ; peut-être en étais-je responsable, enfin quand je dis moi, je ne parle pas de ma personnalité, mais depuis le Transfert, la colère, la violence venait poindre à mon esprit, ce qui n’était pas dans mes habitudes…

Personne à qui exprimer ce sentiment de solitude qui m'envahissait, qui me désarmait, il y avait bien les Mendez, par téléphone, mais ce n’était pas pareil. Bon, bien sûr, il n'y avait personne de connaissance et de confiance à qui me confier. Enfin il y avait Félipé, mais bien que je le voyais tous les jours, nous n'étions pas encore assez proche. Je devais attendre, le retour aux sources m’aiderait peut-être à y voir plus clair.
Pourtant, je ne sais pas ce qui me poussait m’ouvrir à Félipé, il n’était pas franc, mais il était sympa, et puis moi aussi, je lui cachais un truc primordial. J'étais perdu émotionnellement parlant.

J’aurai aimé à un moment que Torvin me remplace, me déconnecter et vivre par intermédiaire, malheureusement aucun moyen de  le contacter réellement, mes supplications intérieures demeuraient sans réponses. Il me fallait faire face seul.
Il me restait une semaine avant d’être en vacances, de revenir dans la Nièvre, je prendrais mon mal en patience. Spleen, mon vert pays aux eaux vives me manquait, mon malaise s'amplifiait ; tout était-il lié ? 

La dernière semaine, fut longue, je continuais de voir les personnes que j’appréciais, mais face à Félipé, j’avais cette sensation de trahison, incompréhensible. La Voix me murmurait des choses, des trucs qui n’avaient aucun sens, aucun mot existant, mais qui me procurait un sentiment de bien-être… Que se passait-il en moi ? Quand elle me se manifestait, mes craintes s’amenuisaient, mes peurs se terraient… Je voulais m’y plonger…

Le samedi matin, j’empruntais pour la première fois ce train qui me marquerait par son horaire, car je l’emprunterais de nombreuses fois à 7h23… le nombre 23, un nombre stressant, intrigant que je pouvais découvrir partout…

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